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ENTRETIEN CIPS - Pr SAMI ALI - Septembre 2015

ENTRETIEN CIPS

 

Monsieur Sami-Ami, quels sont les fondements de votre expression ?

Sami-Ali – Ce qui fait que les choses sont vraiment très faciles et difficiles à la fois, c'est que l'objet de ma peinture et de ma calligraphie est toujours le même : la lumière. La lumière qu'il ne s'agit pas de copier mais de recréer dans un espace à deux dimensions. Il y a une série de photos que j'ai faite dernièrement, j'en expose quelques-unes à Marrakech où la tonalité se lie à la lumière.

Dans mes peintures, on retrouve une sorte de fusion faite de lumière et de couleur que l'on retrouve dans la lumière parisienne. Mais il y a aussi des éléments qui proviennent de l'atmosphère d'Alexandrie, ma ville, avec la mer, le ciel, le vent, l'interpénétration du désert et de la ville. Mais au-delà, il y a quelque chose qui vient de la tradition pharaonique, cette peinture solaire, qui n'exprime qu'une seule chose : la lutte entre la lumière et l'ombre, la lutte entre la vie et la mort, une peinture qui rappelle toujours la résurrection. Le dénominateur commun de tout cela c'est la lumière en tant qu'affirmation de la vie qui inclut également l'ombre, ce n'est pas sa suppression, mais le fait qu'elle est incluse. Si l'on n'a pas compris cela, on n'a rien compris de ce que l'on regarde de la peinture égyptienne ancienne.

Si l'on pense à votre enfance, comment se situe la continuité ?

S-A – Effectivement, j'ai une relation un peu spéciale au temps, il n'y a pas vraiment de coupure mais une continuité, l'enfance n'est pas quelque chose d'oublié qui appartient au passé, j'ai beaucoup de choses présentes qui remontent à l'enfance.

C'est cette relation un peu spéciale à la temporalité qui fait que dans ma peinture également il y a des choses qui passent de l'enfance. Il n'y a pas de dichotomie entre le présent et le passé, pas de nostalgie non plus parce que l'enfance n'est pas vraiment perdue, elle est là, elle fait partie de mon expérience, de ce que je suis.

Je parle de ma relation personnelle, je crois que j'ai eu la chance de ne pas perdre les choses, de ne pas retourner vers des choses perdues, tout le monde a la nostalgie du temps qui passe, mais le temps qui est récupéré à travers, non seulement la mémoire, mais une activité qui fait que les choses durent, ce n'est pas non plus une fixation, pour moi, l'enfance est là, donc c'est une richesse que je conserve.

Seulement elle ne peut pas être là sans que l'activité onirique travaille à fond.

Comment se situe l'aspect relationnel qui vous tient à cœur ?

S-A – Ici, on peut le comprendre a contrario par comparaison avec des systèmes de pensées issues de la médecine, de la psychanalyse, ou de la pathologie, qui se veulent scientifiques en réduisent l'être humain à lui-même quand il y a des relation, on les considère comme des relations qui viennent après en oubliant le fait essentiel, qui est toujours, originellement, la relation. A la naissance avant la naissance, on est en relation, seulement c'est une relation qui n'est pas réduite à des termes connus, c'est la relation qui existe au départ.

Avant la naissance après la naissance c'est une relation entre deux êtres, qui vont se définir progressivement dans la relation. A partir de ce fait fondamental, j'ai élaboré une nouvelle pensée de la relation qui a abouti à la théorie relationnelle destinée, précisément, à explorer les liens entre l'âme et le corps.

Vous dirigez à Paris, le Centre International de psychosomatique, vous être psychosomaticien, est-ce que l'on peut tenter de définir la psychosomatique ?

S-A – En fait, la situation est complexe, on consent ç un mode de fonctionnement qui définit l'adaptation, la normalité, la conformité si vous voulez, les forces contraignantes sont assumées par l'individu lui-même, ce qui fait qu'on peut à la rigueur dire qu'il n'y a aucun problème. C'est là le plus difficile : les gens sont contents d'être dans ce système qui est ouvert à la réussite, à l'affirmation de soi, à l'adaptation, où tout le monde peut être célèbre pendant quinze minutes. C'est qu'il n'y a pas de problème du tout. Je dis qu'il y a un problème parce que j'ai un autre regard sur la réalité socioculturelle que je vis. Quand on pose le problème au niveau de la relation thérapeutique, c'est là qu'on voit qu'il y a quelque chose qui ne va pas du tout, et que c'est là que je peux préconiser une action.

L'action la plus fondamentale c'est d'abord une action au niveau de la pensée. Il faut penser cette chose qui vous donne le sentiment d'être en vous privant d'autres possibilités, c’est-à-dire le rapport à l'enfance, au rêve, à l'émotion. Cela pour commencer, car tout se passe comme si tout le monde devait penser la même chose alors que même dans les situations les plus dramatiques, il n'y a pas un écrasement de toute possibilité de réflexion par rapport aux conflits, aux guerres, par rapport à une manière d'être dominé, afin de mettre en lumière l'emprise de la conformité dans la vie de l'individu.

Sur le plan thérapeutique, le problème devient tout à fait dramatique parce que j'ai affaire à des individus qui souffrent dans leur corps et qui demandent : pourquoi cette souffrance ? Mais ils n'ont pas la possibilité de répondre parce qu'ils sont coupés de l'enfance, coupés du rêve et des émotions. Mon travail consiste à dire que tout ça existe mais a été éliminé pour permettre au sujet de s'adapter et d'être complice de cette adaptation se Fait de façon tout à fait spéciale, au détriment de ce qu'il y a de plus subjectif chez l'être humain, pour aboutir à ce que j'appelle subjectivité sans sujet.

Quel est le lien entre votre peinture et ce que vous êtes ?

S-A – La peinture, c'est une façon aussi d'exprimer quelque chose qui relève de tout ce qui pour moi est très précieux et qui ne trouve pas son expression à travers l'écriture.

Tout ce qui ne passe pas par l'écriture, passe par la peinture et la calligraphie. C'est quelque chose qui est beaucoup plus en direct avec l'émotion, le souvenir, les rêves et surtout avec ce que l'on ne peut pas exprimer par la parole.

Je frôle là quelque chose qui est à la limite de ce que l'on peut exprimer. Par conséquent, ce n'est pas du tout une peinture qui peut être dite, qui peut être expliquée, il faut se laisser aller, pénétrer par une émotion puis à partir de là peut-être, trouver ou retrouver quelques mots qui sont ceux du poème calligraphié, mais c'est surtout au niveau de l'émotion que je me place.

Et c'est sûrement à partir de là aussi qu'il devient possible de saisir ce qui unit une activité multiforme, qui est la mienne, allant de l'art et de la poésie à la psychosomatique et à la philosophie, et que polarise en fait la quête de l'Un, Par-delà les antonymes. Je reste ainsi tout proche d'Al NIffari, le grand poète soufi, dont, précisément, j'ai traduit les "haltes", puisque ce que je cherche à fait peut être considéré comme une manière de "voir l'indicible". D'où, dans tout ce que je fais, une dimension de ce que j'appelle le sacré, lié, cependant, à aucune croyance religieuse mais qui fait un avec la capacité de recevoir, d'accueillir simplement ce qui est là, "le don des sens", comme le dit suprêmement le grand peintre-calligraphe taoïste, Chi-Tao.

*****

(…)

S-A – Mes liens avec le monde arabe dépassent l'actualité, je suis d'origine arabe bien sût, ma langue première est la langue arabe, mon lien avec le monde arabe est d'abord mon lien avec la langue arabe qui est très difficile à faire passer dans une autre langue, en l'occurrence le français.

Ma situation est une situation de passeur, d'une langue à l'autre, d'une tradition à l'autre, d'une sensibilité à l'autre.

Mon lien avec la langue arabe est un lien d'origine, de culture et surtout un lien avec une certaine vision du monde qui passe par la poésie arabe, mystique ou soufie dans le sens que c'est une poésie qui va au fond des choses, en particulier chez quatre très grands poètes que j'ai traduits, Hallaj, Ibn Arabi, Al Niffari et Al Maari. Cette vision approfondie de la réalité humaine reste miraculeusement contemporaine. Dans la traduction que j'ai faite c'est cela que je cherchais à faire passer.

Mon travail dans le domaine de la psychosomatique, on peut également le considérer comme un travail de passage entre l'âme, le corps, le social, le culturel et le biologique.

Au lieu de me disperser dans cette diversité, je cherche partout à montrer qu'il y a une unité au-delà de la diversité.

Or l'unité ne signifie pas la synthèse ou la totalité, c'est quelque chose qu'il faut chercher au-delà du discours rationnel consacré. C'est ici que la dispersion pose les questions les plus redoutables : les questions de spécialités. La poésie d'un côté, la peinture de l'autre, la psychosomatique d'un côté, la médecine de l'autre. C'est une recherche de l'unité en creusant dans la diversité pour aboutir à quelque chose qui se trouve perdue au-delà ou en deçà de la situation actuelle. Ma démarche est celle-là.

Vous appartenez au monde et à la culture arabe, quelle vision du monde avez-vous en appartenant à ce monde et à cette culture ?

S-A – C'est une vision qui cherche surtout à faire découvrir les réalités d'une pensée de l'unité. Les auteurs, poètes mystiques que j'ai traduits sont des visionnaires de l'unité : l'unité de l'homme par rapport à Dieu, l'unité de l'homme par rapport au monde, l'unité de l'homme par rapport à la nature. Ce sont des auteurs qui ont payé très cher cette démarche qui les a placés en marge de la culture, de la religion, de la société entre le Xe et le XIVe siècles.

Cette recherche de l'unité les a amenés à dépasser leur temps et la région géographique dans laquelle ils ont vécu.

Leur message est donc universel dans ce sens-là et je me trouve très proche d'eux. Le choix est personnel et ce sont des poètes à la fois très profonds et difficiles à comprendre, surtout pour savoir dans quelle mesure leur vision peut répondre à nos interrogations, nous hommes du XXIe siècle. Nous sommes dans un monde qui évolue autrement, le miracle pour moi c'est que cette poésie reste étrangement contemporaine.

(…)

La calligraphie arabe traditionnelle est une calligraphie qui n'a rien à voir avec la peinture, du fait qu'elle s'est développée dans un contexte où il y avait une scission entre l'image et le texte.

Elle s'est développée également dans le sens de la reproduction, c'est une calligraphie qui est exclusivement géométrique, décorative, pouvant s'intégrer dans des ensembles architecturaux intéressants. Cependant, elle reste une spécialité, en continuité avec le métier de copiste, même si ce métier a donné lieu à des développements artistiques extraordinaires aboutissants à différents styles.

Mon travail, au contraire à montrer qu'il y a un autre projet que simplement reproduire la calligraphie. Parce qu'une fois qu'on a appris à danser la même danse, on va répéter les mêmes pas.

Ce que j'ai essayé de faire est en rupture totale avec ça, il implique la possibilité de repenser toute l'expérience esthétique et le lien que j'ai pu établir avec la peinture aboutit en fait à ce que j'appelle la calligraphie expressive.

Vous être Sami-Ali une personnalité atypique : Vous peignez, enseignez, écrivez, traduisez, vous soignez les gens, quel fil mystérieux relie toutes ces activités ?

S-A – Toutes ces activités ne sont pas disparates, il y a toujours un lien et le lien c'est moi, élaborant une vision qui me permet d'échapper à la dichotomie. Ce n'est donc pas par hasard que j'ai eu très tôt la vocation de poser le problème de l'âme et du corps, et de vouloir arriver à ce que, d'une certaine façon, l'opposition en question cesse de se poser.

Ce n'est pourtant pas une démarche dialectique qui viserait une totalité, mais au contraire une démarche qui cherche à se défaire de toutes les complexités qui se sont ajoutées au fur et à mesure, comme si on cherchait partout une réalité sous-jacente, en deçà des catégories que l'on plaque sur la réalité. Si on adopte cette attitude, on comprend tout de suite que connaître l'autre est exactement la même chose qu'être ému devant la lumière ou devant la nature. Je reste dans cette zone, où l'émotion est le premier plan. L'émotion qui émerge quand on fait le travail d'épuration nécessaire pour saisir ce qui est là. Cela peut rappeler la position mystique d'un philosophe comme Wittgenstein qui, lui aussi, est arrivé à la même conclusion à force de consacrer des pages et des pages à la complexité de la langue dont nous usons pour dire des choses extrêmement simples, mais en vain parce que nous sommes dans la complexité d'un discours qui vient remplacer la réalité. Et quand Wittgenstein finit par trouver une place à l'indicible, je coirs que c'est ça : l'indicible n'est pas quelque chose qui renvoie à une réalité extra-mondaine ou de l'ordre du religieux, il est ce qui est là, difficile à saisir, exactement comme dans l'expérience zen. Il ne faut pas rajouter, il faut soustraire, jusqu'à ce qu'on aboutisse à ce qui est là.

Si on a cette vision-là, il devient facile de comprendre comment on peut pratiquer des choses apparemment disparates mais qui ne sont pas moins réunis autour de cette expérience fondamentale : saisir ce qui est là. Donc le travail thérapeutique ou même l'enseignement, renvoient à cette expérience difficile à exprimer, mais qu'on peut sentir dans la calligraphie, ou la peinture que je fais : on est alors frappé par quelque chose qui parle directement à l'émotion. C'est l'essentiel pour moi.

Qu'est-ce qui vous a donné le souci de la relation ?

S-A – C'est le fait qu'il y a quelque chose à explorer entre l'âme et le corps. Soigner les gens pour moi ce n'est pas faire de la psychanalyse, qui reste une psychologie liée – quelle que soit la version qu'on en donner – à la notion d'un appareil psychique, et à une pathologie d'origine psychologique : névrose, psychose, perversion.

Tout cela est l'abstraction, la réalité concrète, c'est qu'il peut y avoir névrose plus une pathologie organique. Depuis mon live sur l'impasse relationnelle et le cancer jusqu'à Convergences : essai de psychosomatique relationnelle, je montre comment chez la même personne les plans s'interpénètrent.

Toute ma pensée concernant la psychosomatique établit, au moins à titre d'hypothèse, que l'on ne peut pas tomber malade comme ça et que toute maladie renvoie à quelque chose de relationnel, une fois admise, bien sûr, la part du génétique. Le psychique est relationnel, autant que le somatique.

Ce qui fait le lien entre les deux, ce sont des situations qui peuvent être des situations de conflits insolubles que j'appelle l'impasse.

Une fois que l'on découvre ce genre de situation, on constate que la personne est arrivé au bout de ce qu'elle pouvait faire et que la maladie est le signe de ce passage à la limite.

Parvenu à cette constatation, il devient impératif de faire quelque chose. C'est à partir de là que j'ai conçu une thérapeutique relationnelle qui permet d'aider les gens pris dans l'impasse, où même la médecine peut parfois rencontrer ses limites.

Quel cheminement vous a conduit à cette recherche ?

S-A – C'est un cheminement personnel, qui ne résulté pas de l'application d'une théorie a priori. J'ai simplement fait des découvertes, en explorant la relation à l'autre et progressivement cette exploration s'est approfondie, s'est étendue. J'ai confronté et continue de confronter des questions de plus en plus complexes qui me poussent continuellement à développer des modèles pour tenir compte de cette même complexité. Seulement ces modèles ne sont pas transmissibles dans l'abstrait, ils n'ont leur pertinence que dans la mesure où ils peuvent être utiles et efficaces pour soigner.

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