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Psychomotricité relationnelle - Anne Gatecel

Anne GATECEL

 

PSYCHOMOTRICITE RELATIONNELLE

Dans mon travail de psychomotricienne utilisant comme référentiel conceptuel la théorie relationnelle du Pr. SAMI ALI, le corps se trouve en position centrale quant à l’avènement des processus de subjectivation. Notre vision du handicap, du déficit ou de la maladie, est toujours celle d’un processus dynamique et partiellement mobilisable et non pas celle d’un état statique absolument inamovible. Il ne s’agit pas, non plus, d’avoir pour seul objectif, la normalité mais de travailler avec le patient, son entourage familial et les structures d’accueil sur l’acceptation de l’incapacité quelle soit fonctionnelle, relationnelle ou cognitive. Nous ne travaillons pas avec le corps mais sur le corps qui apparaît, comme l’explicite l’approche phénoménologique, le corps condamné à apparaître dans la relation à l’autre. En cela il ne s’agit plus de rééducation mais de thérapie au sens où la rééducation travaille avec la relation et la thérapie sur la relation.

A chaque nouvelle rencontre thérapeutique, nous pouvons nous demander qu’est-ce qui fait que ce patient est pris (au sens figé) dans des processus qui font qu’il a développé telle forme de symptômes. Nous allons nous construire des représentations mentales sur son fonctionnement psychique, son mode relationnel, etc. C’est, sans doute, parce qu’il devient objet de recherche, d’attention pour nous qu’il commence, peut- être un peu, à exister.

Ce travail de pensée du thérapeute est essentiel car c’est ce sur quoi le patient va pouvoir s’étayer, un peu de la même façon que le bébé est rêvé par sa propre mère.

Le corps du bébé se trouve au cœur de nos réflexions et nous offre une sorte de « voie royale » quant à l’approche et à la compréhension des processus de subjectivation et de symbolisation dans l’espèce humaine.

Nous parlerons du processus de subjectivation en tant qu’étape développementale permettant à l’être humain de devenir une personne, soit un sujet capable de se penser tel, et de se nommer comme tel (acquisition de « je »).

La subjectivation apparaît comme une intériorisation des représentations inter subjectives, soit chez le bébé, comme une intériorisation progressive des représentations d’interactions, mais avec une injection graduelle de toute l’histoire infantile des parents, de leur conflictualité œdipienne, de leur problématique inter et transgénérationnelle et de tous les effets d’après-coup qui s’y attachent évidemment.

Chaque fois qu’un adulte s’occupe d’un bébé, il s’institue entre les deux un style relationnel qui est éminemment spécifique de cette dyade-là. Ce style interactif est en effet la résultante de son histoire personnelle et de la rencontre avec cet enfant en particulier qui a ses propres caractéristiques. Dans le cadre de cette rencontre inédite, chacun va raconter quelque chose à l’autre.

D.STERN a développé la notion d’accordage affectif ; pour que l’échange relationnel entre la mère et l’enfant ait lieu, il est nécessaire que la mère cherche à maintenir le bébé dans un état d’attention et d’éveil au sein duquel il manifestera des comportements interactifs tels que des sourires et des vocalisations, qui, à leur tour, produiront en elles les conduites qui maintiendront en lui l’attention et l’éveil.

Il est intéressant de noter qu’il semble que cette forme de communication et ces nouvelles expériences de plaisir ne puissent se développer qu’à partir d’un vécu répété de satisfaction préalable des besoins somatiques au cours des premières semaines. Nous supposons en effet que la réponse par le sourire implique que l’enfant ait gardé la trace mnésique d’une satisfaction orale liée au visage de la mère. A partir de cette base solide, une communication peut se dérouler « à distance » entre la mère et le nourrisson et un début de séparation psychique peut s’effectuer. Il nous semble ainsi que le jeu relationnel entre la mère et l’enfant constitue la condition pour le développement des processus de pensée chez le bébé. Dans ces premières évocations « hallucinatoires », le bébé peut évoquer non seulement sa mère, mais sa mère et lui engagés dans un système d’échanges corporels et verbaux qui lui offrent la possibilité de construire des scénarios, un ensemble de scènes où les affects sont présents.

Nous voyons combien l’accès à l’intersubjectivité ne se joue pas en tout ou rien mais il se joue de manière dynamique entre des moments d’intersubjectivité primaire effectivement possible d’emblée mais fugitifs et de probables moments d’indifférenciation. Tout le problème du bébé et de ses interactions avec son entourage étant, précisément de stabiliser progressivement ces tous premiers moments d’intersubjectivité en leur faisant prendre le pas, de manière plus stable et plus continue, sur les temps d’indifférenciation continue.

L’enfant a, très tôt, la capacité de refigurer, dans son théâtre corporel ou comportemental, les rencontres qu’il vient de faire, qu’il s’agisse de rencontres relationnelles avec un partenaire humain ou des rencontres avec des objets inanimés. Dans cette refiguration corporelle, il y a sans doute les gènes de la narrativité ultérieure, même si l’enfant n’a pas encore, ici, la conscience de son activité symbolisante débutante.

Dans ce contexte, on comprend bien dès lors l’impact possible des dépressions maternelles sur l’instauration et le développement du langage chez l’enfant, dans la mesure où ces dépressions affectent parfois les qualités de la voix et de la musique du langage de la mère mais aussi une attitude corporelle peu contenante qui aura de suite une conséquence sur la propre tonicité de l’enfant comme s’il devait se construire une carapace tonique à la fois pour ne pas être envahi par cette dépression maternelle et puis aussi pour se sentir un peu « exister » ( au sens de se situer en dehors du corps maternel) mais cela sans processus de psychisation.

En effet, la mère doit être animée par le désir de partager un moment de sensualité et d’affection avec son enfant. Elle va accueillir chacune des productions de son bébé (sourires, regards, mouvements corporels, cris, pleurs…) comme des messages d‘amour, de rejet, de désir ou d’angoisse. Voilà la qualité des échanges qui doit prévaloir, ce qui suppose du côté de la mère une disponibilité psychique, aimante et une capacité à anticiper les attentes de son nouveau-né  en donnant sens à toutes les productions qu’il lui adresse.

Qu’en est-il dans la situation thérapeutique quand nous sommes en présence d’un patient qui présente des failles dans ce processus de subjectivation et  nous fait vivre son vide dans la relation transférentielle, l’absence de ses affects et  n’a pas d’autre forme d’expression que la décharge motrice ?

Très vite dans mon travail avec notamment les enfants psychotiques s’est imposée à moi l’idée de manifester mes propres émotions  et de mettre en mots ce qu’ils exprimaient à travers leurs gestes, leurs mimiques…Je me réfère souvent à cette expression de FERENCZI « le tact » ce qui signifie « sentir avec ». En effet, c’est dans cette disponibilité psychique et corporelle que je me mets à traduire non seulement avec des mots mais aussi avec des attitudes corporelles ce dont je suis témoin pour y donner du sens et permettre peu à peu au patient d’accéder à  une forme d’élaboration de leur souffrance.

Pour illustrer mon propos, je vais évoquer mon travail  avec Virginie.

Virginie accueillie depuis deux ans dans l’institution (EMP)[1], m’est adressée par le médecin-psychiatre, lorsqu’elle a 10 ans. A cette époque, elle ne rentre pas au foyer maternel mais vit dans un orphelinat avec trois de ses frères et sœurs, alors que la mère habite à un kilomètre de là. La configuration de la famille est particulièrement complexe. Virginie est la troisième enfant d’une fratrie de cinq issus de trois pères géniteurs différents. Elle est la seule à ne porter que le nom de sa mère, les autres étant désignés par les patronymes du père et de la mère. La relation mère-enfant pose tout de suite problème et cela se traduit chez Virginie par différentes hospitalisations. De ce fait, cette enfant a été confrontée très tôt à la séparation d’avec sa mère.

Depuis la fin de la grossesse, la mère, déprimée, vit chez sa propre mère, ce qui indique l’état de fragilité et de dépendance dans lequel se trouve cette jeune femme. Virginie réagit à cette situation par des somatisations. Ainsi, de 22 jours à 2 mois, la fillette a été hospitalisée pour un état de mal convulsif post-anoxique consécutif à une bronchiolite virale, avec arrêt cardio-respiratoire, nécessitant un séjour en réanimation pendant 13 jours.

A partir de là, chaque fois que Virginie sera confrontée à la situation de séparation, elle le traduira par des somatisations, de type manifestations toniques, avec difficulté de maîtrise corporelle. Nous pourrions nous demander dans ce cas si Virginie, dans un état d’indifférenciation psyché-soma, vu son très jeune âge, n’a pas réagi à un sentiment d’abandon du fait de l’état dépressif de sa mère.

A 3 ans et 9 mois, peu de temps après la naissance de son frère, Virginie est hospitalisée pour crises convulsives : elle manifeste ainsi son malaise vis-à-vis de l’arrivée d’un puîné sous la forme d’une somatisation motrice. Quand Solène, le dernier enfant de la fratrie, arrive dans le foyer familial, les quatre aînés sont placés en institution, de façon soudaine, à la demande de la mère.

Virginie, de 5 à 10 ans vivra dans deux familles d’accueil successives, séparée de sa fratrie, puis dans un orphelinat où elle demeurera environ trois ans. Au cours de ce séjour dans cette dernière institution, elle sera hospitalisée deux fois pour crise convulsive généralisée.

Nous pouvons d’ores et déjà souligner le parcours bien mouvementé de cette fillette ; la situation de séparation semble être un élément fort prégnant et traumatisant qui pourrait provoquer ce court-circuit électro physiologique, nommé crise convulsive épileptique. La coïncidence entre cette situation de séparation et l’organisation fantasmatique de Virginie crée chez elle les conditions d’un traumatisme psychique dont la seule issue serait la crise.

L’examen psychomoteur nous indique que cette enfant ne connaît pas ses limites corporelles. Dès qu’elle est confrontée à une difficulté face à une consigne qui lui est demandée d’effectuer, elle jette tous les objets à la portée de sa main dans la salle puis elle sort du bureau. Elle ne supporte pas d’être mise en situation passive.

Depuis deux ans, à l’EMP, elle reste très en retrait par rapport aux ateliers éducatifs proposés et avec son éducatrice de référence, elle n’a jamais dessiné ; elle passe son temps à coller des bouts de « scotch » sur des bouts de « scotch ».

Je dénote, dès le premier dessin qu’elle effectue, tout à fait spontanément, une difficulté massive d’organisation spatiale. Le dessin de sa maison ressemble à une « maison visage », sans base, avec deux fenêtres, une porte et un toit multicolore[2]: tous ces éléments indiqueraient que Virginie, au niveau de la construction dans l’espace, se situerait dans cet espace de complémentarité imaginaire décrit par SAMI-ALI[3], où le dedans serait équivalent du dehors, le haut équivalent du bas, le tout de la partie.

Il s’agissait donc, pour la thérapeute, de tenir compte non seulement des éléments de non construction spatio-temporelle, de non-différenciation de la figure maternelle, mais aussi de son comportement de fuite motrice, voire d’éclatement, qui apparaissait chez cette enfant dès qu’elle ne pouvait plus maîtriser la relation. Une rééducation de type très technique lui proposant des exercices pour qu’elle s’oriente mieux ou des consignes faisant appel directement au contrôle moteur, étaient d’emblée vouées à l’échec. A partir d’une relation collée à la mère, le travail relationnel engagé va permettre à l’enfant une certaine autonomisation.

Dans un premier temps, respecter le propre rythme de Virginie, pour établir une relation, paraît essentiel.

Ainsi, au cours de la première séance, dès que j’interviens au niveau du langage, l’enfant fuit dans la cour : le jeu relationnel, trop rapidement précisé, se dissout au niveau de l’agi. De retour dans la salle, elle dessine une « maison-visage », puis elle me propose de faire comme elle, m’inscrivant là dans une relation de mimétisme, celle d’un double spéculaire. Quand elle m’englobe dans la relation, il n’y a plus d’angoisse.

Par contre, quitter est d’emblée difficile : en fin de séance, l’enfant le manifeste par de l’angoisse en renversant le matériel dans la salle, préférant en quelque sorte détruire plutôt que d’être détruite par l’absence de l’autre. En lui fixant, au moyen de la parole, son prochain rendez-vous avec moi, je l’empêche de continuer à décharger sur le plan moteur.

Ayant trouvé le rythme de fonctionnement qui lui convient, dès la quatrième séance, nous pouvons noter une certaine évolution dans l’élaboration de la distance. A travers un nouveau dessin, elle manifeste le fait qu’elle n’est plus captée par l’autre dans la relation. Elle raconte, dans cette activité graphique, sa situation d’attirance vis-à-vis du concubin de sa mère. La préoccupation œdipienne est affleurante : « Je vais garder mon père pour empêcher les autres de rentrer…il est malade…mais je ne peux pas rester avec lui. »

En fait, Virginie achoppe sur cette organisation. Très vite, elle se défend par une hyperactivité inorganisée en utilisant entre autre le gribouillage. Il est ici question du complexe d’œdipe, mais celui-ci ne semble pas organisé. Très perdue dans les éléments masculins de la famille, elle introduit Jean-Claude comme étant un homme qu’elle peut prendre à sa mère, mais, parallèlement, il s’agit d’un père qui n’est pas son père, ni le père de ses frères et sœurs. A la fin de son dessin, elle me demande d’écrire qu’il est interdit d’entrer dans cette maison, puis elle déchire ce morceau de la feuille.

En fait, Virginie reproduit là le refoulement de la situation où la mère a occulté le père. Or, précisément, pour cette dernière, il est interdit de parler de ce mystère du père.

Cette impossibilité d’accéder à la triangulation du fait que son père à elle n’est pas reconnu par la mère, nous explique le fonctionnement en complémentarité imaginaire de cette fillette.

La difficulté d’accession à un rythme personnel est à mettre en rapport avec la relation fusion-autonomie que Virginie a établi avec sa mère. Il se produit une sorte de balancement entre les deux situations qui se retrouvent au sein du travail thérapeutique. Ce rythme de va et vient, d’évolution et de régression au sein d’une même séance, empêche l’enfant de se structurer selon un mode névrotique. Des comportements au rythme inorganisé font suite à un épisode d’élaboration intéressant. Ce comportement aurait pu aller jusqu’à l’épuisement de la relation, si aucune intervention de la thérapeute n’avait eu lieu.

Virginie a sans doute vécu très précisément la non-capacité de sa mère à pouvoir s’occuper d’elle, compte-tenu de sa propre fragilité psychique au moment de sa naissance. La première séparation, de longue durée, a provoqué chez elle la constitution de mécanismes défensifs psychotiques où le fonctionnement de l’imaginaire est court-circuité par la décharge motrice. Il semble qu’elle soit soumise au sentiment d’emprise comme si les objets, les personnes, l’extérieur, la persécutaient. La fuite dans le somatique et le pulsionnel du rythme corporel abolit toute problématique de cet ordre. Lorsqu’elle est rassurée au sein de la relation thérapeutique, Virginie arrive à structurer la situation sur le mode d’un rythme harmonisé par la projection, sinon elle est morcelée.

Dès lors, la question est de savoir comment, sur le plan relationnel, nous pouvons échapper à ce phénomène de dégradation rythmique qui aboutit à l’usure somatique. Dans un premier temps, afin d’établir entre cette enfant et sa thérapeute une relation qui limite l’instabilité rythmique, nous l’avons laissée vivre à son propre rythme. Sur le plan de la relation, il s’agissait de restituer un lieu imaginaire, avec une image maternelle présente-absente. Afin d’échapper à cette sensation d’épuisement qui ponctue toute situation difficile, il apparaissait nécessaire par la suite de lui imprégner un autre rythme qui évite l’usure afin qu’elle puisse dépasser cet état.

Ceci fut apporté par mon intervention limitative sur le plan de la répétition. Par ailleurs, Virginie fonctionnait sur le plan de  l’identique où le tout est l’équivalent de la partie. De ce fait, la limite entre le dedans et le dehors est abolie. Ainsi, le fait de nommer un nombre d’interdictions pour qu’elle respecte le cadre thérapeutique lui permet une certaine structure. C’est dans cette optique que je lui ai interdit de m’agresser physiquement ou de se faire du mal ou encore de casser du matériel. Tout ceci pouvait aller jusqu’à une intervention physique de ma part à savoir instaurer un contenant physique qui ait des effets de contenant psychique, ce qui est, pour le rythme, une base essentielle. Pour lui permettre de prendre de la distance vis-à-vis de ses angoisses, cette rétention physique s’accompagnait de ma part d’une représentation par la parole de ce que je pouvais comprendre de ses manifestations de désorganisation motrice…

Par exemple, au cours de la septième séance, avant son départ en colonie de vacances, Virginie joue activement la séparation, traduisant son angoisse verbalement en ces termes : « On l’a déjà eu notre rendez-vous tout à l’heure ! ». Elle anticipe la séparation en étant active dans ce processus afin de mieux la maîtriser. Elle me dit en fait : « C’est moi qui ne veux pas te voir », et me demande de venir avec elle au centre de vacances. Elle supporte très mal mon impossibilité d’accepter et commence à glisser vers une dysrythmie d’instabilité. Des comportements agressifs envers moi apparaissent (coups de pied, lancers de balle sur la thérapeute…). C’est à ce moment précis que je l’enveloppe avec mon corps, en étant enveloppée par ailleurs par un bain de paroles retraduisant ses difficultés vis-à-vis de la situation de séparation. Pour recadrer le rythme et limiter la culpabilité de son action, je lui propose alors de diriger son agressivité sur un objet, qui est ici un jeu de quilles : dans cette activité ludique où le mouvement présence-absence est rejoué, elle peut, là, récupérer l’objet absent (la balle) qui se sépare d’elle, en expérimentant le fait qu’il n’est pas détruit pour autant (la quille).  Ce jeu de quilles métaphorise pour moi ce mouvement relationnel de présence-absence et permet dans le jeu qu’une activité motrice, rythmique et énergétique puisse se mettre en scène en même temps que de ma place de thérapeute, je fais le lien entre son mouvement agressif envers moi et son angoisse face à la situation de séparation. C’est ce que j’appelle un équivalent d’interprétation. Pour Virginie, la parole directe, explicite de l’Autre, ne peut que faire effraction ; cette parole est menaçante et persécutrice. Il me semble important, ici, de reprendre son potentiel énergétique, rythmique dans un échange ludique et verbal afin que celui-ci s’harmonise. Ce type d’intervention est un équivalent d’interprétation, dans la mesure où elle a pu permettre d’aborder et de dépasser la problématique de la séparation.

Dans une même dynamique relationnelle rassurante, avant de la quitter, je lui fixe son prochain rendez-vous : la séparation est alors adoucie, le rythme a repris son intensité habituelle. Je l’accompagne dans la cour de l’établissement, comme une maman qui accompagne son enfant au départ en colonie, reprenant là le mouvement induit par l’enfant.

Mon rôle se situe donc dans la transformation d’attitude à l’égard de ce pulsionnel. En lui demandant de suspendre la décharge, en lui proposant un autre rythme corporel, en la limitant sur le plan de la répétition, nous avons pu dépasser cette situation rythmique. Ceci tient au fait que le fonctionnement imaginaire, sous le mode du jeu, a pu apparaître.

Ceci a pu être dynamisé grâce à l’équivalence d’interprétation que suscite le choix d’un jeu approprié dans la relation. En proposant des activités adéquates comme le jeu de quilles qui métaphorise dans l’espace le mouvement de présence-absence, un certain temps proche du rythme de sa décharge personnelle a pu être abordé. Le rythme au sein même des séances s’en trouve modifié.

Ainsi, au cours de la dixième séance, après une légère attitude agressive qui se manifeste par un retour à des comportements passés, je la réengage à un comportement autonome ; un rythme actif est de ce fait traduit par un jeu de sauts à la corde. Cette autonomie l’angoisse : c’est ce qu’elle traduit en me proposant une relation de dépendance, en me demandant petit à petit de prendre sa place. La sentant prête pour supporter ce rythme plus actif, je n’accepte pas d’entrer dans son jeu, ce qui fait fonction d’interprétation. Pour finir, elle organise un jeu tout à fait nouveau pour elle : il s’agit du mikado, qui fait appel à une grande maîtrise gestuelle. Elle veut tout de suite être la plus forte, indiquant là son acceptation de cette situation active.

Le fait de représenter la situation en lui disant qu’il s’agit de jouer et que notre relation ne sera pas modifiée si l’une de nous deux perd, écarte toute menace de régression.

Ceci lui permet même d’avancer et de laisser une trace graphique sur le tableau. A partir de cette séance, la modification de son rythme d’élaboration acquiert une base solide, déterminée par le fait que la perte n’engendre plus de mouvements régressifs. Son rythme corporel, maîtrisé par elle-même, lui permet d’aborder des activités faisant appel à la maîtrise gestuelle alors que l’un de ses symptômes majeurs était l’instabilité rythmique de la motricité.

La séance suivante s’organise autour de jeux successifs où motricité et espace sont en harmonie. Un jeu de distanciation (faire rouler un ballon d’un point à un autre) qui est à relier avec la relation triangulaire, lui permet d’aborder la question de la distance spatiale. Une certaine différenciation entre elle et ‘le point là-bas’ commence à s’organiser. Cela a pour conséquence un rééquilibrage énergétique du rythme de tout le corps, qui se trouve moins agité. En même temps que la structuration spatiale, la ponctualité avec laquelle elle arrive à ses séances rend compte d’une temporalité qui lui devient personnelle.

Parallèlement, son dessin semble s’élaborer car il s’oriente spatialement. Dès lors, le sens haut-bas, qui se structure à travers la verticalité puis l’horizontalité, apparaît dans ses schémas : cela lui permet de tracer des ovoïdes, puis des cercles. Une certaine angoisse devant cette élaboration toute neuve la pousse à me demander de reprendre son tracé dans un fonctionnement en miroir. Lorsque je m’arrête de travailler de cette manière, pour lui permettre d’aller plus loin, en se distanciant de moi, une anxiété se fait sentir. Je dédramatise la situation du regard, indiquant là que je reste néanmoins proche d’elle. A la fin de cette séance, elle se choisit même une couleur spécifique pour son dossier, projetant ainsi sur cette chemise l’identité de notre relation : cette couleur la représente puisqu’elle lui est tout à fait personnelle.

Petit à petit, elle ne manifeste plus de comportement de décharge motrice au cours de nos rencontres ; l’imaginaire, en tant que fonctionnement non-déchargé dans l’agi, apparaît à ce moment sous la forme d’histoire imaginée et racontée par l’enfant. En effet, en se projetant sur la poupée, Virginie exprime son désir d’être autonome, d’avoir un lit pour elle, de se situer dans la différence par rapport à ses frères : ce qui l’amène, au cours des séances qui suivent, à exprimer un certain nombre de questions autour de la différence des sexes. Dans un premier temps, une grande confusion régnait ; les poupées étaient asexuées ou bien le personnage avait à la fois l’organe sexuel féminin et masculin ; une certaine angoisse se manifestait, non plus sous la forme de désorganisation motrice, mais plutôt sous l’aspect d’explosion de mots sexualisés qui m’étaient adressés du style : « bouffe ton cul ». Un certain amalgame entre les personnes et les parties du corps apparaissait. Une relation d’inclusion réciproque se faisait jour, sous la forme verbale ; les fèces peuvent être ‘bouffées’, avalées. En d’autres termes, une confusion dedans-dehors, où la bouche serait l’équivalent de l’anus, émerge autour de la question de la différence des sexes.

Rassurée par mon attitude permissive (puisque je la laisse s’exprimer librement), et du fait que je me positionne de manière différente de sa mère dans cette problématique importante, permet à l’émotion angoissée, manifestée jusque là, de se lever. Petit à petit, un début d’identification à une fille qui grandit apparaît. En s’identifiant à une femme, elle aborde le manque, ce qui lui permet d’acquérir une plus grande liberté sur le plan relationnel, tant au niveau du langage que dans l’activité ludique.

Ainsi, à la vingt-troisième séance, Virginie reprend, dans son dossier, le premier dessin qu’elle a effectué dans notre travail, faisant ici un lien sur le plan transférentiel avec le début des séances.

Elle rejoint en cela le manque à être originel. Elle veut fixer ce dessin sur le mur, créant ainsi un lien temporel au sein de notre relation. Elle n’a plus peur d’être détruite par l’autre et sa confiance en cet autre semble s’affirmer. Suite à cela, elle choisit une boîte pour remplir et contenir ses objets personnels qui ne doivent plus lui manquer. Sur cette boîte qui n’est manipulée que par elle lors de nos rencontres, elle m’invite à inscrire son prénom, puis son nom, affirmant là sa possibilité et son désir d’identité. Ceci est l’occasion pour nous de parler de son nom : celui de sa mère qui renvoie au manque existentiel. Cependant, elle me dit spontanément que Jean-Claude n’est pas son père, mais qu’elle ne connaît pas son père de naissance. Le personnage tiers, occulté jusque là par la mère, fait son apparition dans le discours.

Parallèlement, une évolution graphique se fait sentir, elle dessine trois maisons côte à côte : il ne s’agit donc plus d’un fonctionnement en double, et le processus de différenciation se traduit ici dans le dessin.

A cette même époque, un nouveau style de dessin apparaît. Il s’agit d’un quadrillage où deux plans (vertical et horizontal) différenciés se rencontrent. La différenciation des couleurs s’accentue par la suite et la maîtrise gestuelle se confirme. Néanmoins, elle persiste à dessiner de la droite vers la gauche, et de bas en haut. Seul l’espace gauche est investi ; cela correspond à son espace personnel puisqu’elle est gauchère. A aucun moment, je ne suis intervenue, par un moyen technique, pour lui apprendre à changer son sens de l’écriture. Elle le fera d’elle-même, parallèlement à son processus d’évolution sur le plan d’une identité qui s’affirme à mesure qu’elle se situe mieux dans l’espace et le temps.

Lors d’une séance suivante, elle me propose un jeu graphique : il s’agit de réaliser, chacune à son tour, un signe différent dans un quadrillage qu’elle vient d’effectuer : elle fait un trait vertical et me charge d’inscrire un rond.

La rythmicité corporelle étant cadrée et non coupée par le pulsionnel, elle peut accéder à la représentation symbolique du chiffre. De ce fait, Virginie, positionnée face à la représentation, utilisera de plus en plus des jeux passant par le dessin ou la parole, pour exprimer ce qu’elle éprouve. Par exemple, dans une chanson dont l’air est connu, elle introduit les paroles suivantes : « Comme un voleur, papa est parti dans le ciel, tu es parti sans moi… ». A travers cette histoire, elle peut exprimer son fantasme d’avoir été abandonnée par son père, et cela ne la conduit plus à somatiser dans le désordre du rythme moteur. L’imaginaire permet une mise à distance de son angoisse qui n’interagit plus au niveau corporel. Rassurée quand au manque paternel, elle peut utiliser la parole pour exprimer ses fantasmes. Dès lors, elle prend de plus en plus d’autonomie, et elle le chante : « Je suis une petite fille qui m’habille toute seule, qui me prépare toute seule pour aller à l’école, en liberté, je vous en prie, aimez-moi, écoutez-moi. ». Virginie accepte, au même moment, de rectifier le sens de son écriture. Jusqu’à présent, elle écrivait les lettres en miroir et explosait de colère dès qu’il lui était fait une remarque, décrétant d’ailleurs que c’était elle qui avait raison.

L’introduction du registre paternel tiers lui permet donc de se structurer non seulement au niveau de son unité corporelle, mais aussi dans son choix dominant pour écrire. C’est pourquoi on peut relier l’absence et le manque du tiers à un problème existentiel dans un registre corporel et spatio-temporel œdipien. En parlant plus facilement de son père, Virginie commence à prendre de la distance vis-à-vis de la parole de sa mère qui reste confuse dans son attitude éducative envers ses enfants.

Lors de la dernière séance, Virginie souhaite écrire une lettre à son père en ma présence (lettre qui restera dans son dossier). Virginie me signifie bien dans cette dernière séance que j’ai pu introduire le père dans notre relation, venant là aborder le refoulement originaire de la mère.

Comment qualifier le style de relation thérapeutique dans notre approche psychosomatique, par exemple, ici, dans le cadre de la psychomotricité ?

Il s’agit, me semble-t-il, le plus souvent d’aider à consolider la fonction instrumentale pour que la fonction fantasmatique puisse s’y étayer.  Cela signifie de proposer à ces enfants, un abord non intrusif, non interprétatif, à travers l’utilisation d’un matériel ou d’un médiateur. Le thérapeute sera là en tant qu’accompagnant dans une relation où le résultat importe peu. Ce qui compte, c’est la possibilité du fonctionnement psychique lui-même et le plaisir narcissique que l’enfant en éprouve. La relation thérapeutique ne peut pas se définir, alors, comme une neutralité bienveillante mais, au contraire, comme une relation que nous pourrions qualifiée d’impliquante. Ainsi l’enfant doit pouvoir utiliser le thérapeute disponible et coopérant ; l’enfant exercera tant ses capacités motrices que psychiques avec ce partenaire, pas encore symbolique mais symboligène. Dans cette relation impliquante, il s’agit pour l’enfant de pouvoir fonctionner d’abord à deux puis seul, et ensuite de s’observer fonctionner puis réussir. Ceci participe d’un processus de réassurance narcissique, de revitalisation psychique, par la possibilité d’un investissement pulsionnel de ses propres capacités cognitives.

Le corps du thérapeute devient un véritable organisateur pour l’enfant, au même titre qu’aurait pu l’être celui de sa mère, dans ses premières expériences avec le monde extérieur. « Ce n’est pas seulement aux structures neuro-physiologiques sous-tendant les fonctions systématisées que l’on a affaire, non plus seulement qu’aux fonctions dans leur fonctionnement, mais bien plutôt dans leur réalisation sous le regard de l’autre » J.Bergès

Dans cette expérience clinique, le corps du psychomotricien  n’est pas seulement un corps réceptacle, c’est un corps relationnel, agissant sur le corps du patient (notamment quand je contenais physiquement Virginie) et cela afin de l’aider, de l’accompagner dans la perception de son unité psychocorporelle.

Ceci suppose que le thérapeute possède la capacité de s’identifier à son patient, tout en conservant ses propres limites corporelles qui seront sécurisantes pour le patient. Mon intervention s’est située le plus souvent dans la réalité, pour contenir, grâce au rythme corporel, le fonctionnement imaginaire de l’enfant qui tendait à se perdre sous la forme de l’agi. L’abord relationnel prend en compte le temps qu’il faut à l’enfant pour élaborer les situations à partir des équivalents d’interprétation proposés, ce qui est fondamental pour l’accès à la représentation.

Le psychomotricien, dans cette perspective de la psychomotricité relationnelle tente de percevoir chez le patient des signes corporels et émotionnels avec lesquels il va tenter de rentrer en résonnance afin de pouvoir y apporter une réponse tant au niveau sensoriel et corporel qu’au niveau du langage.



[1] EMP : Externat Médico-pédagogique

[2] Les « maisons-visages » ont ceci de particulier que l’intérieur de la maison correspond à un visage. L’enfant assimile la façade à une image de son propre corps ; il se projette dans la maison, dans une relation sans distance par rapport à la feuille de papier.

[3] SAMI-ALI, L’espace imaginaire, Gallimard, Paris, 1974.

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